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mardi 8 février 2011

Un match de légende: le Maracanaço

"Vous, les joueurs, qui dans moins de 2 heures serez acclamés par des millions de compatriotes qui fêteront votre titre de champion du monde, vous êtes, pour moi, déjà vainqueurs". En ce 16 juillet 1950, l'ambiance est à la célébration au Brésil. A quelques heures du coup d'envoi d'Uruguay/Brésil, match décisif pour l'attribution du titre mondial (la formule championnat avait été privilégiée au tableau à élimination directe), le maire de Rio traduit l'état d'esprit qui règne au pays. En effet, il manque 1 petit point aux Auriverde pour remporter le premier titre de champion du monde. Dans un Stade Maracana surchauffé, le destin semble écrit et, quand Friaça ouvre la marque pour les siens en début de 2ème mi-temps, la victoire brésilienne paraît scellé. Sauf que l'Histoire est en marche et en a décidé tout autrement, au plus grand désespoir de toute une Nation et surtout de Moacir Barbosa Nascimiento, le gardien de la Seleçao.

Au cours du Mondial, le Brésil a survolé les débats: 21 buts inscrits, seulement 4 encaissés. La Coupe ne peut lui échapper. Les Brésiliens sont tellement sûrs de leur fait que 500 000 maillots floqués de l'inscription "Brasil Campeao 1950" ont déjà été vendus aux abords du stade. Alors, à moins de 45 minutes de la fin du match avec 1-0 en faveur des Auriverde, il faut faire un très gros effort pour imaginer une défaite. Or, à la 66ème minute, Schiaffino est à la conclusion d'un centre de Gigghia. Pas de quoi faire trembler, ni le public, ni Jules Rimet himself qui quitta la tribune officielle pour préparer le discours de félicitation au Brésil. Mais quand il arrive sur le terrain, il s'aperçoit que les larmes et les sanglots se sont emparés du Maracana. Car entre-temps, Gigghia, profitant d'une mauvaise anticipation de Barbosa qui s'attendait à un centre pour Schiaffino, plaça le cuir dans le coin gauche de la cage brésilienne et inscrivit le but de la victoire charrua. L'impensable s'était produit: la Celeste remporta sa deuxième Coupe du Monde au nez et à la barbe des locaux.

Qualifié d'"Hiroshima brésilien", le Maranaço demeure un plaie ouverte dans l'inconscient populaire auriverde. Malgré les 5 étoiles qui arborent le paletot, cette défaite demeure en bonne place dans le panthéon brésilien. Evidemment, il fallait un coupable tout désigné. Ce fut donc Barbosa, le gardien noir de la Seleçao.

En 1950, la fédération avait vendu sa sélection comme étant le symbole de la mixité brésilienne, fruit de son héritage multiracial qui avait fondé le pays. Comme quoi, la notion de "black-blanc-beur" ne date pas de 1998... Sauf que cette défaite relança le discours de l'ère coloniale qui considérait que les Blancs étaient psychologiquement plus fort que les Noirs et que, partant, un Noir ne pouvait prendre la cage de la sélection. Ainsi, en 1956, un rapport édifiant de la fédé établit clairement que "les joueurs de race nègre perdent une grande partie de leur potentiel dans les compétitions mondiales". Rien que ça.

Déjà ancré dans les années 30 dans certains clubs comme Botafogo qui refusa le transfert de l'immense Leonidas, inventeur de la bicyclette et comme le Gremio Porto Alegre dont la politique était fortement influencée par des Allemands en exil, le racisme anti-noir fit un retour en force après le Maracanaço, rappelant que l'esclavage n'avait été aboli que très tardivement, à la toute fin du XIXème siècle. En effet, les théories les plus absurdes confortaient les stéréotypes sur les capacités des joueurs en fonction de leur couleur de peau. Cette "pensée" reste prégnante au Brésil puisque, sur les 92 portiers qui ont joué sur le maillot auriverde, seulement 12 furent Noirs. Ainsi, en dehors de Nelson Dida en 2006, jamais un Noir garda les bois de la Seleçao lors d'un Mondial. Par conséquent, les joueurs noirs -comprendre pauvres- sont dévolus quasi-automatiquement vers l'offensive tandis que le poste de gardien représente l'élite blanche du pays.

Moacir Barbosa Nascimiento mourut désargenté et miséreux en avril 2000. Selon lui, la pire humiliation de sa vie fut quand, 20 ans après le Maracanaço, il entendit une mère dire à son fils "regarde cet homme, c'est lui qui a fait pleurer tout le Brésil". Malgré sa détresse, il ne se départit pas de son humour, déclarant même que, si selon la peine maximale au Brésil était de 30 ans, sa condamnation en avait duré 50.

Aujourd'hui encore, le Maracanaço reste un des matches les plus mythiques de l'Histoire du Football. La victoire uruguayenne en terres brésiliennes demeure un événement tragique dans l'imaginaire collectif au pays de l'Ordre et du Progrès, devise qui orne le drapeau national. Et eut des conséquences qui allèrent bien au-delà du football.

Floréal Dal Canto

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