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jeudi 4 février 2010

Un joueur de légende: Eduard Streltsov (1937/1990)



Amateur de football old school, ces lignes sont pour toi. Voici l'histoire peu banale et néanmoins tragique d'Eduard Streltsov, un des plus grands joueurs de l'époque soviétique et un des plus grands joueurs de l'Histoire du jeu tout court. Ou quand le football se mélangeait allègrement entre vodka, talonnade, réception au Kremlin et goulag...

"Mon plus grand rival? Eduard Streltsov. Et encore, je pense qu'il était meilleur que moi". L'éloge n'est pas anodine, elle vient d'O Rei Edson Narantes do Nacimiento dit Pelé. Flamboyant sur le pré, Streltsov célèbre sa première cape sous le maillot floqué CCCP avec 3 pions et 3 passes déc' face à la Suède. Plus jeune buteur de l'histoire du championnat soviétique avec le Torpedo Moskva, à 17 ans seulement, Edik est un génie du ballon mais a tendance à verser dans l'orgueil et dans la vodka. Alors qu'il a qualifié à lui tout seul l'URSS pour la finale des JO de 1956 à Melbourne, il est écarté du groupe pour le match ultime pour raison tactique. Nikita Simonyan, son remplaçant, lui offre sa médaille. La réplique est cinglante: "Non, je gagnerai plein d'autres trophées".

Le Mondial suédois de 1958 s'annonce et l'URSS s'affiche en favori pour le titre. Sauf que Streltsov s'éparpille. Ses cuites répétées à la vodka sont entremêlées d'embrouilles avec des entraîneurs, de bastons avec des adversaires ou des inconnus dans le métro. Bref, Strelstov commence à énerver pas mal de monde et notamment la légendaire araignée noire Lev Yachine. Résultat des courses: Streltsov n'est pas le groupe de mondialistes et l'URSS dégage en quart face à la Suède, 3 ans seulement après le festival d'Edik.

Déclaré à court de forme, Streltsov est absent car il a été purement et simplement puni par le Parti Communiste, traduire: envoyé au goulag. Accusé de viol en mars 1958, il est condamné en secret en juillet à 12 ans de zonzon ferme. Comme d'hab' dans ce genre de condamnation arbitraire, des aveux ont été extorqués au joueur par le KGB, la sympatique police secrète soviétique.

Il faut dire que l'ami Eduard a tout fait pour finir en Sibérie. Pour commencer, il refuse de quitter le Torpedo soit pour le Dynamo (équipe du KGB dont Lev Yachine est le capitaine) soit paour le CSKA (club de l'armée). Cerise sur le boeuf Stroganoff, il refuse, lors d'une réception au Kremlin, les avances d'Ekaterina Furtseva qui rêve de caser sa progéniture avec la star. Déjà fiancé, Streltsov refuse sèchement avant de confier à un ami (tu parles) -je cite- "Je n'épouserai jamais cette guenon". Ce qui est étrange (façon de parler), c'est que tous les protagonistes de cette histoire ont disparu ou se sont suicidés. Et la victime du viol s'est volatilisée même si des témoins affirment l'avoir vu au début des années 2000 sur la tombe du joueur.
De plus, les autorités soviétiques craignent que le joueur quitte l'URSS pour s'exiler en Europe occidentale ou aux Etats-Unis. Les dirigeants communistes ont du mal à avaler les excentricités (pour être poli) de Streltsov, personnage qui détone particulièrement dans cet univers polissé.

Au goulag, Edik prend sa ration de barres de fer quotidienne pendant 5 berges jusqu'à ce que les administrateurs de la noble institution comprennent qu'organiser des matches de ballon avec un tel joueur diminue les risques de mutinerie et de rébellion collective.

Libéré en 1965, Streltsov refoule les pelouses avec toujours le même réussite en obtenant à 2 reprises le titre de MVP du championnat soviétique. Cependant, comme on n'est jamais trop prudent, il n'est pas du voyage en Angleterre pour la World Cup sur injonction du KGB.
En 1970, son talon d'Achille saute et il est contraint d'arrêter les frais.

Streltsov est décédé d'un cancer de la gorge en 1990, 4 ans après avoir disputé un match de charité pour les victimes de Tchernobyl.

Personnage trouble de l'histoire sportive soviétique, Streltsov fait l'objet d'une tentative de réhabilitation en Russie, menée entre autres par le Maire de Moscou Yuri Luzhkov et par le Grand Maître des Echecs Anatoli Karpov. L'apport de Streltsov au football de l'époque est énorme: en Russie, en guise d'hommage, une talonnade se dit toujours "une passe à la Streltsov".

Pour voir Streltsov en action, voici un lien. Bon, c'est en russe et alors... Et puis, la présentatrice est charmante... http://www.youtube.com/watch?v=pYt-7NX_XNs.


Floréal Dal Canto

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