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jeudi 31 mars 2011

"Les joueurs passent, les supporters restent": la légende Depé

"Allez, l'OM, Allez! Du virage Depé s'élèvera la ferveur du Peuple Marseillais!". Quel supporter marseillais dans le Virage Nord du Vélodrome n'a jamais scandé ce chant? Patrice de Peretti a été et demeure le plus emblématique des supporters de l'Olympique de Marseille. Il symbolisa tellement la passion à la Phocéenne que le virage Nord du Vélodrome porte son nom. Comme une évidence. Plongée dans l'univers du capo le plus célèbre de France, tragiquement disparu en juillet 2000.

Depé, c'est avant tout une dégaine. Un mastoc cheveux longs, pantalons informes, chaussures trouées et t-shirt pourlingue. Mais surtout, Depé, c'est un voix. Eraillée et envoûtante. Capo en chef des South Winners, groupe fondé par Rachid Zeroual en 1987 dans le quartier de la Belle de Mai, il met le oaï et soulève les foules. A l'époque, Bernard Tapie a jeté son dévolu sur l'OM et s'imagine déjà sur le toit de l'Europe. C'est aussi la période où le Vel' est peuplé de Doc Martins/bombers, notamment chez les Ultras qui partagent le Virage Sud avec les SW. Forcément, il est obligatoire de se faire respecter et s'il est nécessaire d'aller à la marave face aux skins locaux, ce n'est pas un souci. Fort de ces 'succès', Depé gagne en popularité et son aura dépasse le simple cadre du football.

Ce qui distingue Depé parmi toutes les figures emblématiques de l'OM, c'est sa ferveur. Immodérée, extrême. Fasciné par les supporters de l'AEK Athènes qui avaient saccagé Marseille en 1989 alors qu'ils n'étaient venus qu'à 50, il opte à leur image un look improbable: mégaphone, écharpe autour du cou et torse nu. Il passe à la postérité un soir de 1992 à Berlin lors d'un match face au Spartak Moscou où il harangue la tribune dans son costume de soirée par un léger -12°.

Il devient tellement connu et influent que Nanard lui offre sa médaille lors des agapes fêtant la victoire en Champion's. A seulement 21 ans, Depé est le symbole des supporters olympiens, de l'OM, de Marseille. Evidemment, BT tente de le récupérer, lui qui se voit en maire, héritier de Gaston Defferre. Ainsi, dès 1990, il fait de Depé un salarié de l'OM mais son statut exact n'est pas vraiment établi. Quand il n'a pas de collègue chez qui crécher, il dort à la belle étoile... dans les gradins du Vélodrome, son spot favori pour assister au lever du soleil.

Au petit jeu de la manipulation, on ne sait réellement qui s'est servi de qui. En effet, Tapie profitait de la verve de Depé pour mettre la pression sur certains joueurs les lendemains de défaite et rappeler qu'à Marseille plus qu'ailleurs, mouiller le maillot est un sacerdoce. Néanmoins, Depé avait également su tirer profit de l'intérêt de Nanard puisqu'il pouvait ainsi vivre au maximum au plus près des joueurs et à l'occasion permettre à ses amis de devenir également des salariés du club.

La victoire olympienne en 1993 marque le début d'une nouvelle aventure pour Depé. Lui qui souhaiterait avoir davantage de responsabilités au sein des Winners se voit répondre qu'il est tout de même compliqué de bosser avec un type capable d'oublier la recette d'un déplacement sur un siège de métro. Alors, il fait ses valoches en compagnie de ses amis de toujours du quartier de La Plaine et crée 'son' groupe: MTP pour Marseille Trop Puissant. A 22 berges, il quitte donc le Virage Sud pour invertir les travées du Virage Nord qui souhaite leur faire la nique. Et si l'affaire OM/VA plombe les Phocéens sportivement, elle tombe en revanche à pic pour les MTP et Depé qui retrouve le feu sacré. Son emploi du temps consiste à arpenter les rues marseillaises la semaine afin de trouver de nouveaux membre afin de, le samedi venu, les entasser dans des vans pourris, jusqu'à 18 dans un Peugeot J9! Ceux qui n'ont pas les moyens sont même embarqués gratos. Les virées dans la France de la Division 2 sont épiques comme lors d'un déplacement à Epinal. Alors que la joyeuse bande fait trempette dans la fontaine municipale, les employés de la ville tente de les déloger en vidant du détergent dans l'eau. Pas effrayé, Depé prend un malin plaisir à s'en enduire le corps. Dans les tribunes, Depé est égal à lui-même, vociférant, haranguant, inventant des mots. Pourtant, la ferveur affichée s'estompe petit à petit.

L'arrivée de Robert Louis-Dreyfus à la présidence marque le début de la fin. Les maillots dorés pour célébrer le centenaire, les mercenaires qui n'ont pas la culture OM, très peu pour lui. Le foot servait de prétexte pour Depé. Le football moderne ne l'intéressait pas des masses, à tel point qu'il ne regarda même pas la finale du Mondial 98. C'est d'ailleurs lui qui associa l'image de la mascotte immonde Footix pour assimiler les supporters en bois qui découvrirent le ballon un 12 juillet.

En fait, Depé rêve d'évasion. D'Argentine notamment, où il rêve de vivre avec les hinchas de Boca Juniors. A 27 ans, il est toujours le même qu'au commencement: pas de piaule fixe, pas de permis, des fringues prêtées. Cependant, cette image de rebelle ne colle pas exactement avec la réalité. En effet, ces parents ont toujours été proches de leur fils, n'hésitant pas à lui payer un studio à La Plaine pendant une année, qu'il n'utilise jamais. De plus, comble suprême pour celui qui écumer les rues pendant des heures et des heures, il envisage de passer son permis.

Dans son esprit, l'aventure MTP s'achèvera d'ici 2 ans afin de partir à l'aventure. Néanmoins, il est de la partie lors du saccage de wagons de la RATP lors du PSG/OM de 1999 et participe activement au calliassage des voitures de Pirès et Dugarry. A ce moment, l'OM est ridicule partout en France, enchaîne les défaites et fait marrer tout le monde. Cela dit, il ne vivra pas la pire saison olympienne depuis 15 ans. En effet, Depé est retrouvé sans vie chez son pote Anton Coste le jour de l'ouverture de la saison face à Troyes le 28 juillet 2000. Si les causes de son décès demeurent opaques, il était de notoriété publique que Depé était un pourvoyeur de beuh et qu'il n'était pas contre un petit LSD de temps en temps.

Depé aura donc vécu de tous les excès et a été victime de sa ferveur dévorante. Précurseur, il reste toujours dans les mémoire comme le symbole ultime du supporter dévoué à son club et aux membres de son groupe. Dix ans après son décès, les MTP comptent plus de 3000 membres dans leurs rangs et ont réussi leur pari de devenir un groupe influent de la vie olympienne. Avec Bob Marley en étendard et un drôle de mec torse nu comme effigie.

Pour les curieux, voici le lien pour accéder au film de Gilles Rof "Ferveur Depé", documentaire qui donne la parole aux proches de Depé et témoins privilégiés du phénomène: http://www.dailymotion.com/video/xe7ewr_ferveur-depe_sport.

Floréal Dal Canto

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