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mercredi 28 juillet 2010

Un joueur de légende: Gigi Meroni (1943/1967)

Etre tifoso du Torino, c'est avant tout être prédestiné à souffrir. Non pas que regarder jouer la Squadra Granata soit une torture. Mais à chaque fois que le Toro a tutoyé les sommets, le sort s'est acharné sur lui. Ce fut le cas dans les années 40 lorsque la meilleure équipe italienne périt dans un accident d'avion sur la colline embrumée de Superga. La malédiction se poursuivit deux décennies plus tard avec le destin tragique du fantasque Gigi Meroni.
Surnommé la Farfala Granata (le Papillon grenat), le natif de Côme était un ailier droit aussi insaisissable sur le pré que dans la vie, choquant la société transalpine étriquée et bien pensante de l'époque. Il devait être le fer de lance du football italien mais le destin le faucha un soir d'octobre 1967.

Vous prenez George Best, vous conservez cette propension à ne jamais rien faire comme les autres, vous enlevez la picole, vous ajoutez une passion pour l'art sous toutes ses formes et vous obtenez Luigi Meroni. Un homme libre, assurément. Un provocateur également.

En matière de sportif déviant, l'Italie d'après-guerre a déjà eu son compte avec le Campionissimo Fausto Coppi, si dépravé à côté de Gino Bartali dit Gino le Pieux.
De la même manière que Coppi fréquentait l'énigmatique Dame Blanche alors qu'il était encore marié, Meroni partageait sa vie avec une Italo-Polonaise mariée. Pas très catholique tout ça dans un pays où le divorce est encore prohibé...

Admirateur de George Best, il porte également le numéro 7 dans le dos et prend un malin plaisir à humilier ses adversaires à coups de crochets dévastateurs ou par une feinte de corps, à attendre son défenseur attitré pour lui remettre un café-crème dans les gencives.

A coup sûr, Meroni détone. La presse italienne de droite l'appelle, au choix, le gitan ou le vagabond. En sélection, Gigi a du mal à se faire au méthodes musclées du sélectionneur Edmondo Fabbri (rien à voir avec Nestor) qui réveille les joueurs avec la musique du film à l'eau de rose Sur le pont de la rivière Kwaï. Pis, il oblige Meroni à jouer avec le maillot dans le short, d'être rasé de frais et d'avoir les cheveux courts. Ce qui pourrait sembler normal pour certains, mais pour Meroni, qui aime se balader avec des chapeaux zarbi, des lunettes de soleil dont il ne manque que des essuie-glace et des chemises cintrées made in London. En 1966, ce comportement de frondeur lui coûtera sa place de titulaire avec la Nazionale. S'il marque deux buts face à l'Argentine et la Bulgarie quand on daigne lui laisser quelques minutes pour s'exprimer balle au pied, il assiste du banc à l'humiliation de Middlesbrough face à la Corée du Nord. Evidemment, les quolibets les plus acerbes sont pour lui lors du retour au pays.

Sous ses allures d'enfant terrible, Meroni est un romantique. Un vrai de vrai. Tous les jours, sans exception, il offre une rose à sa chère et tendre, n'hésite pas à faire l'aller-retour Turin/Milan pour voir sa belle. Et quand les parents de Cristiana apprennent la relation que leur fille entretient avec le bad boy, ils décident de la marier. Ravagé, Meroni fonce à toute berzingue à Rome pour empêcher l'union. Il s'en fallut de quelques minutes pour qu'il y parvînt. Finalement, les 2 amoureux se retrouveront 4 mois plus tard dans la mansarde sous les toits du centre-ville de Turin.

Gigi Meroni a beau être un garnement et un homme insaisissable, il est adulé par les tifosi du Tor. Un jour que l'Avvocato Agnelli souhaite transférer l'idole à la Juventus contre 750 millions de lires, les ouvriers de la Fiat supporters de l'équipe granata décident de faire grève. Et Meroni resta finalement au Toro.

Meroni est un artiste avant tout et le football n'est qu'un amusement pour lui. Si bien qu'un jour il déclare crânement: "Mon vrai métier, c'est peintre!". Canto n'aurait pas dit mieux... La révolution pop qui immerge l'Europe passe également par la Botte, si bien que beaucoup de Transalpins adoptent à leur tour la "Meroni's touch". Si sa carrière semble désormais s'inscrire en pointillé, Meroni est un garçon heureux qui est sur le point de marier avec Cristina.

Mais les artistes demeurent longtemps incompris et le destin ne manque jamais quand il s'agit de distribuer des coups de latte. Le 15 octobre 1967, après un match face à la Samp', Meroni et son coéquipier Poletti veulent profiter de la soirée pour sortir avec leurs épouses. Accoudés au zinc du bar du Corso Re Umberto, ils n'ont qu'à traverser la rue pour aller les chercher chez Gigi. C'est à ce moment-là que, lancée sur la route mouillée, une Fiat 124 fauche les 2 joueurs. Si Poletti n'a que quelques égratignures, Meroni n'a pas la même chance. Projeté en l'air et traîné sur 50 mètres par une Aprilia, il décède dans la soirée à l'hôpital de Turin. A 24 ans.

Ironie de l'histoire, le conducteur de la Fiat est un tifoso inconditionnel du Tor et a mis sur son tableau de bord une photo de Meroni. Cet étudiant en médecine de 19 ans répond au nom d'Attilio Romero et deviendra... président du Torino à la fin des Nineties. 20 000 personnes assistèrent comme lui aux obsèques du joueur. Le dimanche suivant, au Stadio Filadelfia, le Tor humilie la Juventus (4-0), du jamais vu. Depuis son décès, le Tor n'a plus jamais perdu un 15 octobre. Les tifosi appellent cela "le facteur Meroni", une sorte d'aide surnaturelle qui pousse la formation granata ce jour particulier.

Celui que les tifosi considéraient comme le seul joueur qui aurait pu évoluer dans l'équipe du Grande Torino (papier du 14 septembre 2009 pour ceux que ça intéresse), tragiquement disparue dans l'accident de Superga, a rejoint ses glorieux aînés à l'orée d'une carrière qui s'annonçait monumentale. En 1968, l'Italie devient championne d'Europe et George Best obtient le Ballon d'Or; en 1969, c'est le Rossonero Gianni Rivera, son successeur dans les coeurs italiens, qui est récompensé et qui joua la finale du Mondial 1970 face au Brésil.

Dix-huit ans après la catastrophe de Superga, le Torino fut une nouvelle fois meurtrie par la disparition d'un de ses plus beaux joyaux. Brisée en pleine ascension, la carrière tragique de Gigi Meroni est restée comme une des plaies les plus douloureuses chez les tifosi du Tor. Mais cette histoire parsemée de drames fait que le Torino est, sans aucun doute, le club le plus mythique du calcio italien.

Floréal Dal Canto

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